Et il flotte de nouveau, ils s’engagent, le chien, la voiture et lui, dans le chemin qui descend vers la ferme, car c’est une ferme, la maison de madame Pinot, à n’en pas douter, une ferme sans animaux donc, étrange ferme. Le chien, piteux, n’ose pas bouger une oreille, ils s’arrêtent le long d’un petit muret crépis, des clapiers vides les regardent depuis l’autre côté d’une cour herbeuse. Il n’est pas utile d’aller la chercher, madame Pinot, elle est là, devant l’entrée, avec ses pantoufles écrasées à l’arrière et sa tête d’écureuil, les grands yeux noirs le regardent fixe, elle ne bouge pas. Elle est abritée de la pluie par l’avancée du toit, un horrible toit d’ici, ses quatre pans écrasés d’angoisse, lui pas, il est debout, de l’eau plein la gueule, le chien a la visage mouillé. Landau s’avance en direction de madame Pinot, les pieds légers, le chien va voir les clapiers. Ils entrent dans la maison, c’est pour le recensement, a-t-il dit, il est obligé de mentir un peu au début, pour l’accès. Elle lui demande s’il ne veut pas faire entrer son chien, il dit non, c’est un chien de plein air, il aime être exposé aux éléments (putain, n’importe quoi, faites-moi entrer, devait penser le chien, pensa Landau). Elle a posé un café sur la toile cirée jaune, c’est encore plus laid que chez monsieur Kaufer, les parois sont couvertes de lambris sournois, des tableaux de l’alpes crient de partout. Et il commence à lui expliquer. L’atterissage, le principe, un petit topo sur la sécurité sociale, la démographie, l’équilibre des comptes. Elle continue de le regarder fixe, est-ce qu’elle comprend seulement quelque chose. Elle fuit son regarde à présent, frotte avec son éponge, il en est à la pyramide des âges qui s’élargit dangereusement vers le haut, risque d’écroulement, les pyramides, c’est fait pour finir en pointe, madame.Il la fait assoir, pour qu’elle arrête de frotter, on dirait sa mère, mais elle continue sur la table. Il lui demande si elle croit en Dieu, elle ne dit rien. C’est toujours pareil, avec les très vieux, ils ont déjà remballé la sono, il n’y a pas moyen de discuter, il faudrait faire ça au fusil à lunettes. Dieu, c’est pratique, pour amorcer sur le délicat, c’est un argument pour éviter de dramatiser, ben alors, mamie, si vous croyez, c’est tout bon, on va faire ça tranquillement. Il va allumer un vieux transistor qui se trouve près de l’évier, peut-être que ça la tranquilisera. Il fait un nouveau tour dans la maison, la laisse frotter la toile cirée, un renard empaillé tient sur le meuble du salon, il a le regard vitreux, un biche en procelaine laquée verte lui fait face depuis la table, bonté divine, la porcelaine laquée, c’est son ennemi intime, à Achille. Les pieds déjà plus lourds, il revient dans la cuisine, fait le tour de la table, reprend sa place. Elle lui demande s’il veut encore du café, elle est jolie, c’est bien triste. Landau lui demande si elle a des enfants, de petits-enfants, il le sait, mais il faut quand même être civil, faire la conversation un minimum. Elle frotte autour de sa tasse. Si on est trop jeune on ne juge pas bien, trop vieil de même. Ce fumier de Blaise Pascal, avec ses fragments à la con, il aurait bien aimé l’y voir. Bon, madame Pinot, vous ne voulez pas aller faire pipi, on va faire un tour à la salle de bain ? En même temps, il pouvait lui laisser cinq minutes, on n’était pas au pièce. Autant continuer à lui parler, même si elle n’entendait rien, Madame Pinot, il faut faire ça, c’est pour le bien collectif, vous voyez. Vous en avec bien profiter quand même, là, avec vos moutons que vous avez dû avoir, les animaux, hein. Et joli, la montagne qu’on voit de chez vous, soixante ans que vous voyez la montagne (mais comment vous avez tenu, devait penser Landau, pensa Landau).